Introduction

La quatrième révolution industrielle est celle de l’Internet et des technologies de l'information. Ces technologies touchent tous les secteurs économiques, obligés de s'équiper pour tirer profit des gains de productivité et de réactivité rendus possibles. Cela s'accompagne d'une profonde et rapide évolution de la société : nouveaux modes de consommation, nouveaux métiers et modes de vie, par exemple par le développement du travail à domicile, nombreuses créations de sociétés, communications plus rapides et moins chères, sans limitation de distance et accessibles au grand public.

Parallèlement aux nouvelles activités, d'autres doivent s'adapter ou disparaître. Les medias classiques (presse, télévision, radio) ne peuvent pas rester à l'écart des évolutions des technologies de l'information. Non seulement celles-ci ouvrent de nouvelles sources d'information et des nouveaux canaux de distribution, modifiant ainsi l’activité des sociétés de medias établies, mais en plus elles favorisent l'apparition de nouveaux concurrents.

La radio a de nombreux atouts pour tirer profit des nouvelles technologies. Elle est plus avancée techniquement que la presse, plus souple que la télévision qui très tôt a été détenue par de grands groupes en raison des besoins de financement, et surtout, l'ensemble de l'industrie radiophonique est depuis plusieurs années dans une phase propice à l'introduction de nouvelles technologies puisque la surface financière des sociétés de radiodiffusion augmente par le jeu des rachats.

Ce medium est resté longtemps traditionnel, ou bien public, ou bien l'oeuvre d'entrepreneurs individuels ayant profité de la libéralisation des fréquences. C'est d'ailleurs essentiellement la législation des différents pays qui explique le grand hétéroclisme de ce secteur et l’adaptation variable aux évolutions technologiques. Depuis le début du siècle et quasiment jusqu'à nos jours, deux grands modèles de régulation de la radio, décrits en 1991 par Jean-Marie Charon dans l'Etat de Medias, s'opposaient : le modèle américain et le modèle européen.

Le modèle américain est né du Radio Act de 1912 et qui permettait l'attribution de licence d'exploitation quasi systématique aux candidats. En 1927, la Federal Radio Commission (FRC) fut créée pour mettre fin à l'anarchie dans l'attribution des fréquences. La FRC, bientôt remplacé par la Federal Communication Commission, a établi des règles visant à écarter les risques de monopoles. En 1953, la 7-7-7 Rule interdit à une même organisation de contrôler ou posséder plus de 7 stations de radio AM, plus de 7 stations FM et plus de 7 stations de télévision. Ce seuil sera porté à 12 en 1984 avec en plus l'interdiction d'être en situation de monopole sur un même marché géographique sur l'ensemble des medias (AM, FM, télévision et quotidiens). Cette législation a été très favorable à la multiplication des stations de radio. En 1945, quelque 600 localités disposaient d'au moins une station de radio, 2200 étaient dans ce cas en 1975. Ce système est propice à la profusion des stations, tant privées que publiques, AM que FM. De cette profusion est né un besoin de programmes nationaux pour combler les programmes locaux, c’est le début de la syndication. Les programmes se sont réparti le marché par segment de population ou par style musical en définissant des formats.

Le modèle européen quant à lui est à dominante publique. En France, les radios dites périphériques sont apparues sur les grandes ondes entre 1945 et 1960 en marge des radios nationales. D'abord Radio Luxembourg, puis RMC, Europe 1, Radio Andorre et enfin Sud Radio. L'état français a pris des parts significatives dans leur capital. Les radios privées sont apparues peu à peu, d'abord clandestinement puis sur le marché des radios locales, non exploité par le secteur public. Ces radios furent d'abord associatives, Pierre Mauroy, alors Premier ministre, ayant fait le choix en 1981 de ne pas "souiller la bande FM" avec de la publicité.

Ces modèles ont appelé des besoins technologiques différents : les radios américaines ont appelé des techniques d'automatisation réduisant les coûts de fonctionnement des stations indépendantes tandis que le modèle européen créait une plus forte demande d’outils de connectivité de groupe. Le modèle américain est proche cependant de la situation des radios indépendantes françaises aujourd'hui. Elles possèdent le plus souvent entre 1 et 10 fréquences sur un bassin géographique resserré et doivent réussir à combler leur grille de programme. Cependant, leur nombre plus restreint qu'aux Etats-Unis n'a pas fait naître un appel de programmes syndiqués. Comme nous le verrons en première partie, les indépendantes préfèreront bien vite se doter d'outils leur permettant de produire elles même l'ensemble de leurs programmes.

Le début des années 90 marque à la fois le début du développement des outils numériques destinés aux radios mais aussi une transition dans l'économie de ce secteur. Le développement de technologies nouvelles nécessitait un appel fort qui ne pouvait venir uniquement des radios indépendantes françaises, qui en plus sont restées longtemps associatives.

En 1991, Patrick Pierra écrivait dans L'Etat des Media : "Les ondes radio semblent réfractaires aux grands groupes". Mais la radio amorçait déjà sa phase de transition d’un secteur dominé par l'artisanat et l'étatique vers un autre dominé par des groupes financièrement puissants. Patrick Pierra voyait bien que des groupes de radios se constituaient, mais les "géants internationaux des medias (…) se contentent pour l'instant d'une maîtrise indirecte du contenu des radios en distribuant les disques qui occupent les ondes." L’analyste ajoutait à propos d’un projet de réseau international de radios francophones : "(le projet est) prématuré, aucune demande pour ce type de service n'est réellement perceptible, ni dans le public, ni chez les annonceurs". Pourtant, en même temps naissait le projet le plus gigantesque de l'histoire de l'industrie radiophonique : WorldSpace naissait en 1990, fondé par Noah Samara, avec l'ambition de toucher directement à partir de 9 faisceaux satellites 4,6 milliards d'auditeurs potentiels. L'année d'avant, la CLT créait en France Maxximum, montrant que des groupes importants peuvent s'intéresser activement aux radios, et ces groupes allaient encore grossir.

Cette évolution de l'industrie radiophonique se déroule en même tant que l'essor des technologies numériques et de l'information. Les radios profitent aussi de ces technologies pour explorer de nouveaux modes de diffusion, et proposer de nouveaux programmes adaptés à ces canaux en pleine explosion : l'Internet, les programmes satellites directs, à péage ou non. Les opportunités s'ouvrent à profusion. C'est un défi pour le management de cette industrie qui devra avoir des talents de visionnaire pour détecter les meilleurs marchés. Les nouveaux modes de diffusion imposent un passage au tout numérique, donc certains investissements. Comme nous le verrons, ces investissements, s'ils sont réalisés dans un but d'automatisation de la production de programme ou de la diffusion publicitaire, peuvent être accessibles à la grande majorité des radios car ils s'autofinancent par les économies réalisées. Par contre, la dimension globale pouvant être offerte par la diffusion numérique n'est accessible qu'aux radios capables de réaliser de forts investissements, capables de profiter de synergies entre plusieurs canaux de diffusions à partir d'une même source d'information, le plus souvent la ou les rédactions.

Le véritable défi des radios dans un marché de l'information et du divertissement de plus en plus vaste et transparent, donc de plus en plus compétitif, est d'affirmer leur capacité à être des acteurs majeurs de la production sur les canaux numériques si elles ne veulent pas redevenir le parent pauvre des medias. Les investisseurs se précipitent sur les nouvelles technologies, la radio peut en profiter. Nous verrons comment cette industrie traditionnelle a commencé à se moderniser, que ce soit en intégrant les plus grands groupes de media ou en demeurant dans des sociétés indépendantes, puis quels nouveaux modes de distribution de programmes ont été ouverts par la nouvelle puissance financière de ce medium. Pour exploiter pleinement les nouvelles opportunités, de nouveaux programmes directement liés au numérique sont créés, de nouvelles offres apparaissent sur le marché des espaces publicitaires, de nouvelles sources de revenus ont été ouvertes, et restent à ouvrir.

L'émergence des technologies numériques permet-elle aux radios commerciales de demeurer un grand medium compétitif malgré l'émergence des nouveaux media numériques ?

    Remarque méthodologique : Les radios commerciales, tout au long de cette recherche, désignent à la fois les radios indépendantes, les catégories B en France, que les réseaux et stations appartenant à des groupes. L'interdépendance entre le développement des technologies et l'appel constitué par ces deux types de radios motive ce partie pris méthodologique. Tout au long de cette recherche, ces deux types de radios seront traités conjointement et les distinctions constatées dans le cadre du sujet clairement indiquées.

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